Gangstérisme yiddish

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June 13, 2013

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June 13, 2013
By Philippe Couture


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Socalled, homme de théâtre? Que oui. Après le théâtre pour peluches The Season, le voici derrière un imposant projet de comédie musicale en yiddish, Tales from Odessa, d’après les nouvelles d’Isaac Babel, dans une mise en scène d’Audrey Finkelstein.

C’est le roi du Mile End et il faut s’attendre à discuter avec tout le voisinage quand le maître du klezmer hip-hop Josh Dolgin nous convie à une petite conversation en plein air dans le quartier. Un peu plus et l’âme de l’écrivain Isaac Babel serait des nôtres: une voisine nous assure d’ailleurs qu’elle habite dans le même immeuble que l’auteur adulé! Babel, mort par fusillade en 1940 à Moscou, est méconnu en Amérique du Nord, mais considéré comme l’un des écrivains russes les plus importants de son époque. Socalled en est un fan fini. Il aime tout des Contes d’Odessa, qui explorent dans une langue syntaxiquement incontrôlable le quotidien de la population juive de cette ville portuaire de l’ex-URSS. Mais avec le librettiste Derek Goldman, il a misé sur les histoires mettant en scène la pègre, qui culminent dans le récit de Benya Krik, le roi des gangsters juifs.

«Je trouve qu’il y a quelque chose de profondément romantique dans la vie des truands; un souffle de liberté, un anticonformisme très inspirant. Bien sûr, j’ai une colère incontrôlable contre la corruption qui enrichit quelques criminels au détriment de la qualité de vie des citoyens de toute une ville. Mais la vie des brigands est une bonne matière à fiction.»

Il y a dans l’arrière-plan de l’œuvre un positionnement politique clair: Babel prend ses distances du régime soviétique. Pas désintéressé de cette dimension de l’écriture, Socalled n’a toutefois pas trop voulu s’y aventurer. «J’ai réalisé, explique-t-il, une première version du livret avec un traducteur russe qui avait mis l’accent sur cet aspect très politisé. Mais ce n’était pas exactement l’histoire que je voulais raconter. Le livret actuel propose tout de même une fresque sociale, une chronique d’entre-deux-guerres dans laquelle on peut voir une métaphore de l’histoire des Juifs, une illustration des processus de pouvoir et de domination d’un peuple.»

Finies les peluches, Tales from Odessa recourt à des marionnettes en ombres chinoises conçues par Clea Minaker, une artiste de Vancouver qui a jadis travaillé avec Atom Egoyan. Sur scène, des musiciens rompus aux sonorités klezmer (notamment un joueur de cymbalum d’origine roumaine) vont donner vie à la partition que Dolgin a créée en quelques jours après une longue période de recherche dans le répertoire folklorique d’Odessa et après un voyage d’inspiration sur les lieux.

Il s’installe au piano nouvellement installé sur le parvis de la bibliothèque du Mile End pour me raconter son processus de création et me jouer quelques extraits. «J’avais en tête ce très riche répertoire d’Odessa et j’ai composé des morceaux désassortis, que j’ai ensuite greffés et superposés comme dans un travail d’échantillonnage; c’est une sorte de bricolage ou de patchwork à partir de mes propres mélodies, comme un échantillonnage de moi-même.»

Il rigole de ses explications, mais m’assure que ce sera «the real shit, the real sound». Je le crois sur parole.

Du 16 juin au 7 juillet
Au Centre Segal des arts de la scène
En yiddish avec surtitres français et anglais.
À consulter: le carnet de bord de création au socalledtalesfromodessa.wordpress.com

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