Ingrid St-Pierre au Centre Segal — Celle qui déboutonne les cœurs

  • Print
  • More

June 11, 2013

Journal Le Devoir
June 7, 2013
By Sylvain Cormier


Read the online article

Où en était-elle, Ingrid St-Pierre ? Carrière joliment menée, saine progression, public fidélisé, se porte fort bien, merci. Avec ou sans moi dans son coin. Je l’avais un peu délaissée, avouons-le, cette dernière année. Rendez-vous raté à la sortie de L’escapade, le deuxième album : j’avais écrit une recension et rien d’autre, faute de temps pour la rencontrer (moi qui fus son premier, le premier qu’on n’oublie jamais, à son arrivée en ville avec Ma petite mam’zelle de chemin, en juin 2011). M’en souvenais bien peu, à la vérité, de ce deuxième disque, sinon Coin Livernoche et La courte échelle, la chanson de proximité entre sœurs où « le vent soufflera Françoise Hardy ». Rendez-vous raté derechef à la première montréalaise de l’album, je ne sais même plus quand. Et voilà qu’à ses deux soirs aux Francos, les 15 et 16 juin au Gesù, j’allais être réquisitionné par d’autres.

Trop injuste, quand même. J’étais bien entiché d’Ingrid St-Pierre, moi, au départ, et rien ne justifiait cette désaffection de circonstances. D’où l’occasion saisie ce jeudi soir : elle se produisait au Centre Segal (sur Côte-Ste-Catherine, très dans l’ouest, beau lieu où francophones et anglophones se rencontrent) dans le cadre de la série Femmes du monde/Women of the World. Oh que j’ai bien fait. La configuration studio se prêtait idéalement à ce spectacle à cinq, Ingrid au grand piano (parfois au ukulélé), ses compagnes Shonna Angers, Edith Fitzgerald, Sarah Martineau et Camille Paquette-Roy aux chœurs, cordes et percussions diverses. La chanteuse pouvait chuchoter si ça lui chantait : on entendait tout, sans grande amplification.

Tour guidé

On entendait surtout ce que j’avais trop vite perdu dans la cohue : la manière fine, exquise et sensible avec laquelle Ingrid St-Pierre nous propose le tour guidé de son monde. Un certain art de raconter sans en avoir l’air (la virée dans Chinatown, le cœur déboutonné, dans Feu de Bengale ; le corps en Himalaya à escalader dans Les avalanches), un chic d’observatrice pour croquer des scènes craquantes (le tombeur mal tombé dans Coin Livernoche ; l’envieuse de la mariée dans Les froufrous blancs), la grande force et la grande vulnérabilité à la même enseigne : « Petite moi rafistolée/Un peu plus grande/Un peu plus forte/Reprends la route la tête haute/Pour ne plus jamais la rendre… » (Les elles). Ça me faisait penser à quelqu’un, cette chanson, j’en étais tout chose. C’est bien à ça que ça sert, les chansons. C’est bien à ça qu’elle est championne, Ingrid St-Pierre.

Elle ne fait plus en rappel son medley de reprises étonnantes (du Nirvana, du Nine Inch Nails…), hérité de ses années de demandes spéciales dans un café de Trois-Rivières : avec le matériel de ses deux albums, le spectacle se met en place tout naturellement. On la suit où elle va (jusque dans son amour du chant grégorien), ses présentations enchantent autant que les chansons (grâce, simplicité, drôlerie, elle a tout), les arrangements ravissent (xylophone là où il en faut, violon chinois aussi), on aboutit forcément à ses chansons sur les siens (et, par là, les nôtres) : Sous les aquarelles, lettre d’une fille à son père, et Ficelles, pour sa grand-mère « aux souvenirs qui s’étiolent ». Et le visiteur du Centre Segal se dit, en chemin vers la sortie : mais qu’est-ce qui a bien pu m’éloigner d’elle ?

Box Office
514-739-7944