Le peintre et son modèle

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December 5, 2012

Revue Séquences
November 30, 2012
By Élie Castiel


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En 1958, le célèbre peintre américain Mark Rothko reçoit une commande pour la création d’une série de quatre œuvres murales destinées à un grand restaurant de New York. Il engage un jeune assistant, Ken. Mais à mesure que se créent les toiles, Rothko est pris par le doute lorsqu’il s’aperçoit que son projet pourrait être une insulte à sa vision artistique. Entre lui et son protégé s’entame alors un dialogue bouleversant sur les rapports entre l’art et la vie.

Récipiendaire de six Tony Awards en 2010, le dramaturge John Logan propose une œuvre intemporelle sur la création. Ce qui se démarque de l’adaptation de Martha Henry, c’est avant tout le goût du risque, celui d’exposer deux individus aux antipodes l’un de l’autre, celui qui a vécu et celui dans le chemin vers la maturité.

Mais entre les deux, une symbiose formidable, un rapport de forces qui sous des apparences d’agressivité, accueille l’échange des idées et convoque de nouvelles façon de voir et de faire. Les rapports père/fils, artiste/élève sont ici multipliés par un nombre indéfini : Rothko et Ken se disputent, s’appuient, se réconfortent, chacun défend son point de vue sur la vie et la création. Le maître à partir d’une solide expérience ; l’élève sur une observation méticuleuse des valeurs et des notions de l’existence.

Si Rothko privilégie le tragique dans son œuvre, d’où son admiration pour la mythologie grecque et pour Nietzche, auteur indispensable, Ken préfère la vie (le peintre écoute de la musique classique, son modèle préfère celle légère).

Mais cela est aussi une question de mise en scène et de rapport à l’autre. Les spectateurs sont devant un immense studio où des toiles appuyées aux murs nous rappellent le rôle important de la création dans la vie. Red est surtout une pièce sur la parole. Les silences sont rares puisqu’il s’agit d’exprimer la rage, la colère, une idéologie. Mais ce qui étonne le plus dans cette production du Segal, c’est surtout la façon dont les comédiens, et tout particulièrement Randy Hughson (Rothko) parvient à incarner le for intérieur, l’âme indicible, perméable, ouverte au grand jour. Sans oublier le jeune Jesse Aaron Dwyre, alliant avec sensibilité, vulnérabilité et prise de conscience un personnage complexe et passionnant.

La scène est très proche des spectateurs. C’est comme si nous assistions à un spectable intime, une sorte de laboratoire de la création totalement inspiré. Nous sortons de cette soirée l’intellect riche, la pensée féconde et avec le sentiment que sans l’art, l’existence est totalement perdue.

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