Ranee Lee : du grégorien au gospel

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March 7, 2013

La Presse
March 4, 2013
By Daniel Lemay


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Main tendue, partage: Ranee Lee, la black diva montréalaise, dit avoir beaucoup en commun avec la femme et l'artiste qu'elle incarne dans le Mahalia Jackson Musical, au Centre Segal Dans la deuxième moitié du XXe siècle, peu d'artistes ont représenté autant d'aspirations humaines que Mahalia Jackson. Et pas juste pour les Noirs américains; à l'époque, bien des Canadiens français appréciaient la ferveur de «la reine du gospel» et avaient dans leur discothèque un de ses nombreux microsillons qu'ils faisaient tourner dans leur stéréo «HiFi» le dimanche après la messe: Black, Brown & Beige avec Duke Ellington et son orchestre (1958) ou ce fameux Silent Night (1962), un chant de Noël très populaire ici sous le titre Douce nuit.

En souvenirs et en musique, Mahalia Jackson revient à Montréal (voir autre texte) dans une création de Roger Peace qui apparaît déjà comme le point culminant de la spectaculaire saison du Centre Segal des arts de la scène. «Pour Mahalia, je n'ai jamais songé à personne d'autre que Ranee», nous dira d'emblée M. Peace, rencontré cette semaine au Segal avec Ranee Lee, la star du Mahalia Jackson Musical.

«Je suis catholique et, à l'église, je chantais du grégorien en latin», racontera Mme Lee, une New-Yorkaise qui s'est établie à Montréal il y a 40 ans. «Mahalia Jackson, elle, était de confession baptiste et chantait du gospel. En plus, elle était une fan de Bessie Smith, une formidable boule d'énergie.» L'été dernier, des centaines de Montréalais ont pu se rendre compte de la chose en assistant au musical The Life and Blues of Bessie Smith au Festival de jazz, où Miche Braden tenait le rôle de «l'impératrice du blues».

En 1988 au Centaur, Ranee Lee avait incarné Billie Holiday dans la première production canadienne de Lady Day at Emerson's Bar & Grill, mise en scène par le même Peace. Comment, au-delà des chansons, Mme Lee se prépare-t-elle pour de tels rôles? «D'abord par la recherche sur le personnage. Pour Billie Holiday, j'avais parlé à des gens qui se droguaient, pour essayer de comprendre comment ils vivaient leurs troubles intérieurs. Mahalia Jackson était tout le contraire de l'autodestruction: elle incarnait la main tendue, le partage, des valeurs qui me sont chères.»

Il faut quand même éviter le piège de l'imitation?

Absolument. C'est pourquoi j'ai cherché à voir comment ces traits, ces éléments de la vie de Mahalia pouvaient trouver résonance dans ma propre vie. Même chose pour le texte de Roger qui me fait dire des milliers de mots: je dois trouver la bonne façon de les dire, non pas pour parler comme Mahalia mais pour y croire moi-même.

Roger Peace expliquera par ailleurs que «c'est toujours la musique qui porte l'histoire». Ici, 20 chansons avec un choeur gospel et Taurey Butler au piano. «Surtout dans le cas de Mahalia où il n'y a pas de côté sombre à mettre en scène. Dans tous les cas, l'histoire doit d'abord être divertissante, mais peut aussi nous inspirer et nous apprendre des choses...»

On apprendra alors qu'aux hymnes à la gloire du Tout-Puissant - The Christian Testimony, Walk all Over God's Heaven, etc. -, Mahalia Jackson pouvait chanter avec la même ferveur des pièces profanes qui aidaient tout autant à transcender la souffrance humaine. We Shall Overcome...

Pionnière de la Place des Arts

Mahalia Jackson était au sommet de sa gloire quand, le 20 octobre 1963, elle a été la première vedette internationale à se produire en solo à la toute nouvelle Place des Arts de Montréal. «Dans un spectacle de negro spirituals», disait la publicité. L'OSMavait inauguré la Grande Salle un mois plus tôt avec un concert dirigé par Zubin Mehta et Wilfrid Pelletier, en l'honneur de qui on renommera ladite salle en 1966. Deux mois plus tôt, Mahalia Jackson, très impliquée dans la lutte des Noirs américains pour la reconnaissance de leurs droits, avait participé à la fameuse March on Washington for Jobs and Freedom, aux côtés de son ami Martin Luther King, qui recevra le prix Nobel de la paix en 1964. Comme les protest singers Joan Baez, Bob Dylan et Peter, Paul&Mary, Mahalia avait chanté juste avant le fameux discours de Martin Luther King, I have a dream (J'ai un rêve). Elle avait choisi I Been Buked and I Been Scorned et How I Got Over, qui fait partie du musical du Segal qui se termine justement dans les marches du Capitole.

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The Mahalia Jackson Musical au Centre Segal avec Ranee Lee, Taurey Butler au piano et un choeur gospel sous la direction de Marcia Bailey. En anglais, du 3 au 24 mars.

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