Top Girls : Une autocritique féminine

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May 6, 2014

Revue Jeu Theatre
May 5, 2014
By Lucie Renaud


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Écrite en 1982, dans l’Angleterre thatchérienne, Top Girls de Caryl Churchill peut donner l’impression d’avoir pris quelques rides et pourtant. Lors d’une scène onirique mémorable, Marlene célèbre sa promotion avec d’autres femmes fortes du passé: la papesse Jeanne qui aurait gouverné l’église catholique de 854 à 856 déguisée en homme, l’exploratrice Isabelle Bird, Dulle Griet, personnage de la toile de Breughel et Lady Nijo, maîtresse d’un empereur japonais devenue religieuse et Griselda, la patiente épouse que l’on retrouve dans les Contes de Canterbury de Chaucer. Après quelques verres de vin, ces femmes échangent à bâtons rompus, chacune coupant la parole de l’autre dans un contrepoint qu’il n’est pas toujours facile de suivre, évoquant les sacrifices qu’elles ont dû faire pour en arriver là.

Après une transition musicale nous replongeant dans les années 1980, la deuxième scène nous ramène dans la réalité, Marlene échangeant avec une collègue de l’agence de placement Top Girls. L’immense baie vitrée qui orne le mur arrière peut aussi se lire comme une métaphore du fameux plafond de verre (notion certes toujours d’actualité). À travers une narration fragmentée, qui lors de la dernière scène retourne un an en arrière, on finira par comprendre que Marlene (comme Isabelle Bird) a confié à sa sœur sa fille Angie, devenue une adolescente mal dans sa peau qui ne rêve que de tuer celle qui l’a élevée et voue un culte à cette «tante» qui a réussi.

Si l’écheveau du fil narratif de la pièce de Churchill demeure difficile à démêler (et en a laissé plus d’un perplexe dans le public, motivant quelques départs à l’entracte), la scénographie de Max-Otto Fauteux se révèle spectaculaire et la distribution sans reproches. Laura Condlln campe une Marlene implacable, mais jamais entièrement dépourvue d’une certaine humanité. Lauryn Allman, qui attire l’attention en papesse Jeanne se transforme sous nos yeux en une Angie aussi torturée que troublante (belle idée de la metteure en scène Micheline Chevrier de nous rappeler que nous portons toutes un masque et un costume pour affronter le monde), la serveuse du souper (Elana Dunkelman) devenant sa jeune amie Kit. Leni Parker qui incarnait une suave Lady Nijo se glisse quant à elle sans problème dans la peau de Joyce la morne sœur de Marlene (pendant de Dulle Griet), jusqu’à ce que celle-ci explose lors de la confrontation finale qui nous ramène exactement au point de départ de la pièce: peut-on atteindre le succès professionnel sans renier certains autres éléments de notre féminité?

Top Girls. Texte de Caryl Chruchill. Mise en scène de Micheline Chevrier. Une production du Centre Segal. Au Centre Segal jusqu'au 18 mai 2014.

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