Femmes de pouvoir ou pouvoir des femmes?

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May 6, 2014

Pieuvre.ca
May 6, 2014
By Eloïse Choquette


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Pour certains, le féminisme entraîne une série de regards au ciel et de soupirs exaspérés. Bataille gagnée, déclarent-ils. Les femmes ont gagné, elles sont fortes, elles sont belles, elles ont désormais tout pour elles. Mais comment font-elles?

La figure féminine charismatique se déplace, s’habille, mange et boit d’une certaine façon. Elle évolue dans la société avec une poigne de fer. Comme Marlene, personnage principal de Top Girls. Dans cette pièce signée Caryl Churchill, la grande responsable de l’agence londonienne à vocations multiples Top Girls reçoit à dîner des figures féminines d’exception. Qu’importe si ces femmes sont réelles, peintes de la main d’un maître ou imaginées par un grand auteur! Le dialogue, profondément intemporel, est d’une justesse saisissante en 2014. Grossesse, avortement, adoption, pouvoir, féminité et coquetterie sont au centre de ce repas où coule à flots l’alcool, qui délie des langues pourtant fort bien pendues d’entrée de jeu.

Marlene (Laura Condlln, solide) est omnisciente dans les tableaux de Top Girls. On parle d’elle, même quand elle n’est pas là. Dès le second tableau, l’admiration que lui voue sa nièce Angie (Lauryn Allman) est touchante de maladresse, et confiée de façon étrange à la jeune amie de cette dernière.

Puis se succèdent une série d’entrevues menées par Nell (Lucinda Davis) et Jeannine (Julie Tamiko Manning), qui sont en réalité des confrontations femme à femme souvent cocasses, mais qui mettent parfois mal à l’aise.

Le dernier tableau est une confrontation d’un autre genre, opposant Marlene à sa sœur Joyce (très forte Leni Parker), mère d’Angie. Les répliques résonnent, mais lorsque s’enchevêtrent les paroles, on se retrouve au cœur d’une cacophonie assourdissante comme seules deux sœurs savent créer.

Ce que ça donne au final? Des tableaux très différents les uns des autres, tous reliés à Marlene. Le spectateur seul décidera d’ignorer ou non le fil blanc duquel sont cousus les canevas de cette pièce néanmoins fort bien rédigée sur fond d’Angleterre thatchérienne.

La mise en scène signée Michelle Chevrier est d’une propreté et d’une netteté quasi chirurgicale. Le milieu aseptisé dans lequel se retrouvent les personnages permet une grande liberté de mouvement tout en offrant un contraste intéressant avec les dialogues, dentelles aux motifs complexes qui se répètent incessamment pour former un tout. Chapeau pour les choix musicaux entre tableaux, par ailleurs.

Là où le bât blesse, c’est la durée (2h45 avec entracte). Le problème d’apparence minime qui prend des proportions démesurées, ce sont les longueurs. On cherche à faire des liens. Le premier tableau, le plus long (d’environ une heure), est de loin le plus intéressant de tous. En fait, il constitue pratiquement une pièce de théâtre à lui seul. Il est lié de façon floue aux autres scènes présentées après l’intermède. On prendrait davantage de ces interactions cinglantes, taquines ou compatissantes entre ces femmes de toutes les origines et de toutes les époques qui marquent la première heure de Top Girls. Ce qui suit est un parallèle; il peut être intéressant même si l’histoire s’égare au détour d’une entrevue ou d’une conversation bizarre d’adolescentes. Cela dit, il s’agit d’une célébration de la femme moderne, avec une distribution puissante et, surtout, exclusivement féminine, rédigée dans les années 1980, mais toujours aussi criante de vérité. Et d’actualité.

Top Girls, de Caryl Churchill, mise en scène de Micheline Chevrier. Au Centre Segal des arts de la scène jusqu’au 18 mai 2014.

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