Fiston a raison (Le Devoir)

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September 8, 2014

Le Devoir
September 8,2014
By François Lévesque


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Le metteur en scène Andrew Shaver joue d’audace dans sa production de la pièce The Graduate

Dans un monde idéal, chaque objet artistique devrait être abordé, considéré puis jugé pour ce qu’il est, sans a priori. Il faudrait voir un film sans se référer au roman sur lequel il est basé ou, comme dans le cas de la pièce The Graduate, y assister en tâchant de faire abstraction tant des incarnations littéraire que cinématographique qui vinrent d’abord. Or, le fait est qu’il n’est point de monde idéal et que l’objectivité absolue n’est rien d’autre qu’une vue de l’esprit.

Récit d’un étudiant méritoire, un « lauréat », qui entame une liaison avec l’épouse de l’associé de son père pour ensuite s’éprendre de la fille de celle-ci, The Graduate fut d’abord un roman à saveur autobiographique de Charles Webb publié en 1963. Ce fut ensuite, en 1967, un film de Mike Nichols qui passa à l’histoire grâce à la dimension mythique qu’acquirent les personnages, mais aussi grâce à la brillance de la réalisation et à l’empreinte indélébile que laissa la trame musicale de Simon and Garfunkel. La pièce à succès du dramaturge Terry Johnson inspirée de l’une et de l’autre oeuvre date de 2000. Et il est impossible de ne pas penser au film au moment de la découvrir, point. Le metteur en scène Andrew Shaver en était manifestement conscient, aussi a-t-il pris les grands moyens afin de s’en distancier. Le résultat plaira ou choquera sans demi-mesure possible.

En effet, c’est — littéralement — à l’enregistrement d’une comédie de situation, d’une « sitcom », que Shaver convie le public. On se croirait non pas dans Papa…, mais dans Fiston a raison. Tout est là, de l’annonce initiale du présentateur rétro au signal lumineux « Applause » accroché au plafond qui invite périodiquement les spectateurs à applaudir. La disposition même de la salle du Centre Segal facilite l’illusion, sa forme amphithéâtrale pouvant évoquer un studio de télévision. Sur scène, les personnages s’agitent et claquent les portes à qui mieux mieux dans la plus pure tradition de cet auguste genre télévisuel américain. Une hérésie, que cette approche ? Elle est en réalité beaucoup plus conséquente qu’il n’y paraît. À cet égard, quelques précisions s’imposent. La pièce de Terry Johnson, contrairement au film de Mike Nichols, n’évoque les années 1960 que par la bande. Les comportements et surtout les réactions à ceux-ci en relèvent en revanche clairement. Autrement dit, il existe une dichotomie entre la forme et le fond, ce que la critique regretta lorsque le dramaturge mit lui-même en scène sa pièce en 2000 à Londres, puis en 2002, à New York. En exacerbant au contraire le contexte « 1960’s » par le décor, par les costumes, par les coiffures, Andrew Shaver gomme ce déséquilibre.

Et le ton à la limite de la caricature ? La pièce est ainsi écrite. De fait, tant dans les dialogues que dans l’action, Johnson accentue volontairement la dimension comique du matériel original. Bien que certains enjeux plus dramatiques demeurent, la proposition théâtrale se situe résolument du côté de la farce, et donc à des lieues du ton à la fois impertinent et mélancolique du film. La direction d’acteurs d’Andrew Shaver est à l’avenant, semblant même parfois regarder du côté de Wes Anderson en insufflant des accents fantaisistes aux rôles périphériques, tel ce réceptionniste d’hôtel qui ne déparerait pas le hall du Grand Budapest. On n’est ici pas tant dans la nostalgie que dans une fétichisation amusée d’un passé fantasmé.

Irrésistible Mrs. Robinson

Qu’en est-il des rôles principaux ? Qu’en est-il de Benjamin et de Mrs. Robinson ? Luke Humphrey s’avère crédible, passant sans effort du désarroi à la perplexité à l’effarement, là encore, à des fins surtout comiques. Sans surprise cependant, la talentueuse et fort séduisante Brigitte Robinson, qui se dénude diligemment lors de la fameuse scène de séduction, domine la distribution avec une superbe blasée absolument irrésistible.

Au final, la pièce The Graduate telle qu’elle est mise en scène par Andrew Shaver n’a rien à voir avec le film de Mike Nichols. C’est en soi un exploit.

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