Théâtre - Oulipo chouette

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March 22, 2013

Le Devoir
March 18, 2013
By Alexandre Cadieux


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À la fois exercice ludique et critique mordante de la bureaucratie et du capitalisme à grande échelle, L’augmentation de Georges Perec (1967) est loin d’avoir perdu de sa pertinence près de 50 ans après sa création. L’auteur de La vie mode d’emploi avait d’abord destiné à la radio cette pièce conçue à partir d’un organigramme de la division du travail au sein d’une grande entreprise.

On le sait, c’était le grand plaisir des membres de l’Oulipo que de s’imposer de telles contraintes formelles. Devant le spectacle mis en scène par le trop rare acteur Ariel Ifergan, difficile de ne pas penser aux Exercices de style de Raymond Queneau : le directeur artistique des Productions Pas de Panique (Z comme Zadig) traite en effet certaines des variations de cet algorithme fou à la manière d’un western, d’un film de samouraï, d’un numéro de clown.

Par-delà ces quelques effets, c’est le texte qui reste ici souverain. Langage technique et langue de bois dévoilent ici toutes leurs capacités aliénantes, y gagnant presque (presque…) au passage une dimension poétique. À l’employé qui souhaite aborder son supérieur afin de lui demander une augmentation, on conseille d’envisager toutes les possibilités. Que faire s’il n’est pas dans son bureau ? Comment lui présenter la chose s’il paraît de mauvaise humeur ? Qu’opposer comme argument aux impératifs d’austérité que le patron ne manquera pas d’invoquer ?

Ifergan embrasse avec rythme le formalisme de l’oeuvre. Il est bien servi en ce sens par ses six interprètes, qui dissipent rapidement les craintes suscitées par l’aspect un peu guindé de l’introduction qui met en place le dispositif de répétition de la fable. L’apport du pianiste jazzy Philippe Noireaut se combine à une esthétique un peu austère pour donner à la représentation un petit air suranné, mais nul n’est dupe : il y a sous la cocasserie et les prouesses verbales une véritable charge contre une exploitation toujours actuelle et le vrai drame d’une vie toujours maintenue dans l’attente d’un lendemain plus douillet.

L’augmentation évoque les mécaniques vertigineuses et délirantes que furent Oulipo Show du Théâtre UBU ainsi les spectacles du Groupe de poésie moderne (Le boson de Higgs, De l’impossible retour de Léontine en brassière), à qui Ifergan a emprunté quelques collaborateurs. Si la production présentée au studio du Centre Segal n’atteint pas l’implacable rigueur formelle de ces modèles, le tout est précis, rondement mené et fort amusant.

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